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 Peut-on proposer une offre « de proximité » sur internet, qui est intrinsèquement a-spatial ? Une bonne occasion de revenir sur la notion de proximité.

Lundi 3 décembre se tenait à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris une journée Connect Street, visant à proposer aux petits commerçants des outils de digitalisation de leur activité afin de renforcer la proximité aux consommateurs.

 

Etre près ou être proche? 

            La proximité a plusieurs dimensions. Elle peut être appréhendée sous l’angle spatial, et désigne alors la distance ou le temps entre deux entités – ici en l’occurrence, des consommateurs et des commerçants. Pour autant, on peut être près de quelque chose ou de quelqu’un sans pour autant s’en sentir proche. En économie de la proximité, on distingue donc la proximité spatiale et la proximité organisée, qui renvoie à l’ensemble des procédés par lesquels les commerçants vont faire en sorte d’être proches de leurs consommateurs. Cette proximité peut elle-même prendre plusieurs formes qui ont souvent été décrites par les sciences de gestion : elle peut être fonctionnelle – un magasin peut ouvrir plus tard pour que ses clients s’y rendent en sortant du travail – mais aussi relationnelle, par exemple à travers la mise en avant de valeurs communes telles que la saisonnalité ou la valorisation des producteurs régionaux.

            Ces différentes formes de proximité sont neutres tant qu’elles ne sont pas activées par certains acteurs pour créer ou renforcer un lien avec d’autres. Dans le cas du commerce, on pourrait considérer que c’est d’autant plus le cas que les canaux de distribution se sont démultipliés depuis la seconde moitié du XXème siècle. Jusque dans les années 1950, la proximité renvoyait à des pratiques majoritaires de consommation quotidienne à l’échelle du quartier, dans un contexte où les achats domestiques étaient généralement réalisés à pieds, par des femmes, le plus souvent sans activité professionnelle. Cette proximité spatiale entre le logement et les lieux de consommation, partagée par les riverains, pouvait également participer de proximités relationnelles, matérialisées par les échanges marchands du quotidien et façonnant des identités de quartier. Ces deux formes de proximité pouvaient revêtir une dimension contraignante puisqu’il était difficile de s’en extraire, faute de canaux d’approvisionnement alternatifs dans les espaces urbains. À partir des années 1950, le développement de la grande distribution en périphérie des lieux de résidence et de travail, caractérisé par des formes de ventes plus impersonnelles à travers le recours au libre-service et associé plus globalement à la motorisation et à la croissance de l’emploi féminin, ont remis en cause le lien à priori indéfectible entre commerce, proximité spatiale et proximité relationnelle.

Nouvelles formes de proximité pour nouveaux circuits de distribution

            Depuis les années 1990, l’émergence du e-commerce contribue à envisager de nouvelles formes de proximité entre commerçants et consommateurs. Dans un article consacré aux circuits de proximité et à la relocalisation des circuits alimentaires, Cécile Praly, Carole Chazoule, Claire Delfosse et Patrick Mundler décrivent par exemple deux formes de mobilisation d’internet dans la mise en place de circuits courts en Rhône-Alpes. Dans le premier modèle, les sites de e-commerces assurent essentiellement un service de vente par correspondance pour des produits rattachés à une image de terroir forte, qui est mise en scène sur le site. Ils créent ainsi une proximité fonctionnelle et relationnelle qui s’adresse essentiellement à des clients qui sont loin des lieux de production. Dans le second, les places de marché jouent le rôle d’intermédiaires entre des consommateurs et des producteurs situés à proximité les uns des autres et prennent en charge divers services logistiques, de l’approvisionnement dans les exploitations à la livraison au domicile ou au travail des clients qui n’ont pas le temps ou la volonté de se déplacer sur les lieux de production. Les produits vendus ne sont donc pas systématiquement rattachés à un terroir fortement valorisé comme c’est le cas dans le premier modèle, puisqu’il s’agit avant tout de mettre en relation des consommateurs et des producteurs pour des achats réguliers, tout en assurant la création d’une proximité relationnelle autour de la valorisation de certaines particularités des produits vendus, comme la saisonnalité ou une meilleure rémunération des producteurs.

Les places de marché, témoins de rapports différenciés à la proximité

            À Paris, on peut aussi retrouver ces deux modèles de places de marché. Paris.Shopping, par exemple, est une plateforme qui permet « [à] chacun, qu’il vienne en voisin ou depuis l’autre bout du monde, d’accéder aux meilleures adresses de shopping. Et à l’esprit de Paris ». Le site joue bien un rôle de renforcement de la proximité fonctionnelle avec des clients éloignés géographiquement de Paris, mais qui souhaitent avoir accès à des produits qui véhiculent des éléments qui s’y rattachent symboliquement, comme l’élégance ou un certain art de vivre. D’un autre côté, une plateforme comme La Ruche qui dit Oui tend plutôt de valoriser la proximité géographique entre des producteurs et des consommateurs, en les faisant se rencontrer physiquement lors de rencontres hebdomadaires organisées via une plateforme mais aussi en proposant des livraisons directement suite à des commandes sur leur site. Il s’agit donc de renforcer la proximité fonctionnelle d’une manière similaire à Paris.Shopping (bien que ses modalités de mise en œuvre soient différentes), mais pour des formes de proximité relationnelles et géographiques très différentes.

            Finalement, loin d’être paradoxale, la manière dont certains commerçants – ou producteurs – recourent aux places de marché sur internet pourrait bien traduire le rapport qu’ils entretiennent à la proximité aux consommateurs. Et on voit qu’il existe en la matière une infinité de combinaisons possibles ! Jusqu’à renverser la relation puisque, du côté des pure players, le développement économique semble souvent passer par l’investissement dans des boutiques en dur. Ainsi les petits commerçants ont-ils peut-être aussi des outils précieux à transmettre à ces acteurs du digital en matière d’innovation pour renforcer la proximité aux consommateurs.

Natacha Rollinde

 

Pour aller plus loin :

CHAMBRE DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE DE PARIS, 2018, plateforme partenariale en faveur du commerce en Île-de-France, en ligne : http://www.cci-paris-idf.fr/sites/default/files/presse/pdf/documents/3426-2018_-_plateforme_partenariale_commerce_page.pdf

PRALY Cécile, CHAZOULE Carole, DELFOSSE Claire, MUNDLER Patrick, 2014, « Les circuits de proximité, cadre d’analyse de la relocalisation des circuits alimentaires », Géographie, Economie, Société, vol.14 n°4, pp. 455-478.

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