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Vers de nouveaux liens entre la ville et l'alimentation?

#Veille #Décryptage

L’alimentation pourrait-elle être un axe d’aménagement du territoire si l’on souhaite mettre en œuvre une transition écologique ? L’atelier d’Open Innovation consacré à l’alimentation et au développement durable a donné des pistes de réflexion sur le sujet.

Plusieurs témoignages ont donné à voir de quelle manière le développement durable pouvait être appréhendé à différentes étapes de la chaîne alimentaire. Ces présentations et les échanges qui les ont accompagnés permettent d’esquisser des réflexions sur les liens forts qui peuvent exister entre approvisionnement alimentaire et aménagement du territoire, depuis la production jusqu’à la prise en charge des déchets ou du gaspillage alimentaire.  

Coordonner différentes échelles d'aménagement autour de circuits de proximité

Le développement d’une alimentation durable passe souvent par la valorisation des circuits de proximité, dans lesquels les producteurs et les consommateurs se rapprochent en termes spatial et de relations. En particulier, et à rebours des circuits longs dans lesquels il existe de multiples déconnexion entre les lieux de production et ceux de consommation, ils visent à redonner une primauté à l’hinterland des centres urbains, c’est-à-dire l’ensemble des espaces qui leurs sont adjacents et dont la majorité des activités économiques et agricoles visent à fournir l’alimentation nécessaire aux besoins de leurs habitants.

Du point de vue territoriale, cette dynamique invite avant tout à réfléchir à ce qui est considéré comme une échelle cohérente pour la mise en œuvre d’un système alimentaire qui réponde aux besoins de l’ensemble des acteurs qui y prennent part – besoin de consommation pour les consommateurs, besoins économique et d’écoulement de la production pour les producteurs. Si l’on prend l’exemple de l’Île-de-France, cela n’a rien d’évident : en 2015, l’Institut d’urbanisme et d’aménagement de la région a calculé que la production la production francilienne de fruits et légumes ne couvrait que 10% des besoins des ménages, et que cette proportion descendait à 1% pour la viande. A l’inverse, la production céréalière couvrirait 200% des besoins en blé de la région. Ainsi, d’une certaine manière, le territoire d’approvisionnement pertinent pour appréhender les pratiques des consommateurs n’est pas le même que celui d’une partie des producteurs franciliens.

Mettre en œuvre des circuits de proximité implique donc de mettre en œuvre des transformations qui concernent directement l’organisation du territoire : d’une part du point de vue spatial en développant par exemple des incitations ou des aides à l’implantation d’activités agricoles diversifiées – l’étude de l’Atelier parisien d’urbanisme consacré à l’alimentation et aux circuits courts en a fait une recension à l’échelle francilienne ; d’autre part en créant ou en réactivant des interactions entre producteurs et consommateurs ou producteurs et commerçants/restaurateurs, pour construire des circuits aux caractéristiques nouvelles du point de vue des produits échangés ou de la logistique par exemple. La présentation de Pierre Bureau, président de Kimayo lors de l’atelier d’Open Innovation, à propos de la construction d’une collaboration avec un grossiste spécialisé dans la centralisation de l’offre de producteurs franciliens, est un exemple d’innovation développée dans le cadre de ces circuits courts.

Accéder à une offre alimentaire durable

Une autre question se pose, à l’échelle intra-urbaine cette fois-ci : la répartition de l’offre en alimentation durable permet-elle à chacun des habitants d’y accéder de manière équilibrée sur le territoire ? A Paris par exemple, l’étude menée par l’APUR montre bien que les commerces d’alimentation durable ont tendance à être localisés dans des centralités qui étaient déjà commerçantes avant leurs installations et à venir renforcer des dynamiques commerciales préexistantes. A l’inverse, il existe donc des périmètres de la capitale, en particulier dans les arrondissements périphériques, dans lesquels il n’est pas possible d’accéder rapidement – 400m, soit 5 à 6 minutes de marche – à ce type d’offre, y compris lorsque l’offre en paniers bio (AMAP, Ruche qui dit Oui) est prise en compte. Du point de vue de la mise en œuvre d’une offre alimentaire qui s’inscrit dans une perspective de développement durable, cet élément revête une dimension problématique, dans la mesure où cela remet en cause le caractère équitable de l’alimentation durable.

Le développement de l’agriculture urbaine a contribué à mettre à l’agenda ces enjeux d’aménagement urbains associés à la transformation des systèmes alimentaires. La question de l’accessibilité à une offre durable pose à son tour des questions en termes notamment d’aménagement commercial, sur la manière dont la fabrication urbaine prend en compte les débouchés de la production alimentaire durable. Cela peut concerner la forme des locaux commerciaux – surface ou espaces de stockage par exemple – ou encore la prise en compte des spécificités des circuits logistiques liés à l’alimentation durable.

Structurer de nouveaux circuits en aval

Lors de l’atelier d’Open Innovation, Too Good to Go et Carrefour ont présenté un modèle de valorisation des invendus alimentaires, puis l’association La Tablée des Chefs a proposé un atelier de cuisine à partir, notamment, de produits généralement considérés comme des déchets, tels que les épluchures ou les fanes de légumes.

Ainsi, le changement de regard sur des produits qui ont longtemps été considérés comme des déchets s’accompagne également d’une transformation des circuits dans lesquels ils s’inscrivent : ils ne sont plus seulement évacués mais valorisés, parfois à l’intérieur de l’espace urbain quand ils ont pendant longtemps été traités en dehors de cette dernière. Cela influe sur l’ensemble des flux liés à l’alimentation qui arrive, transite puis quitte la ville à une période donnée. Aujourd'hui, ils sont relativement déséquilibrés, dans le sens où pour fonctionner elles consomment et rejettent plus qu’elles ne produisent pour les autres territoires avec lesquelles elles sont en interaction.

Cette situation s’est accentuée au cours du XIXème siècle : Avant cette période, une partie de ce que l’on considère aujourd’hui comme des déchets urbains – et qui n’étaient alors pas considérés comme tels – liés plus ou moins directement à l’alimentation, étaient valorisés notamment en tant qu’engrais dans l’agriculture. Le développement des engrais chimiques plus performant a contribué à leur assigner ce statut de déchet. Reconsidérer aujourd’hui une partie de ces déchets comme de potentielles ressources peut donc, à l’instar des circuits de proximité mais dans le sens inverse, participer à une transformation du rapport entre les villes et les territoires qui les approvisionnent. Cela interroge donc aussi sur la structuration des réseaux de traitement de déchets urbains et leurs interactions avec les circuits de valorisation des produits en aval de la chaîne alimentaire.

Parler d’alimentation et de développement durable permet de poser de nombreuses questions sur la manière dont l’aménagement du territoire interagit avec les transformations du système alimentaire, notamment parce que l’alimentation durable implique de mettre en œuvre de nouveaux circuits avec et dans les villes. Ils peuvent modifier leur forme et leurs relations avec les territoires qui les approvisionnent. Mais, de manière plus large, cela interroge aussi sur ce qu’est la ville et comment les nouveaux circuits qu’elle accueille peuvent participer à sa redéfinition.

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