Crise sanitaire : LES ENTRETIENS | Le regard de Aude Bardaine-Grospiron, co-gérante de l’épicerie Tout Bon Vrac & Bio

La série d'article  "LES ENTRETIENS" met en lumière la situation des acteurs du secteur alimentaire face à la crise sanitaire.

L’épicerie Tout Bon vrac & bio a ouvert en septembre 2019 dans le 20ème arrondissement de Paris. Depuis l’annonce du confinement, elle fait partie des commerces considérés comme essentiels et ses gérants ont dû complètement revoir leur organisation pour faire face aux nombreuses difficultés qu’ils ont rencontrées. Aude Bardaine-Grospiron, co-gérante de l’épicerie, a eu la gentillesse de répondre à nos questions durant cette période de forte activité.

Cette interview fait partie des 8 témoignages que nous avons recueillis dans le cadre de notre article consacré à l’impact de la crise sanitaire sur les acteurs de la chaîne alimentaire en Île-de-France. Vous pouvez le retrouver >> ici <<.

Depuis l’annonce du confinement, quelles ont été les principales difficultés auxquelles vous avez été confrontés ? Comment avez-vous fait face à ces difficultés ?

Tout d’abord, nous avons fait face à beaucoup de stress car nous avons dû mettre en place les mesures sanitaires à la hâte afin de protéger notre équipe et les clients, et tout cela sans aide ni consignes officielles. En tant qu’indépendants, nous avons dû trouver nous-mêmes des gants, du désinfectant puis nous débrouiller pour trouver des masques, faire construire et adapter des parois en plexiglas sur nos caisses, etc. Nous avons également dû créer nos propres process au sein de l'équipe et vis-à-vis des clients, pour lesquels nous nous sentions un grand niveau de responsabilité.
Ensuite, nos effectifs se sont réduits au fil des semaines : nous avons été confrontés à plusieurs arrêts maladie, soit 40% de l'effectif total de l'équipe en moins. Le management de l'équipe encore en poste a été intensifié : nous avons beaucoup communiqué avec nos employés, nous les avons encouragés, remerciés, informés… et nous avons aussi maintenu du lien avec les personnes en arrêt maladie pour les rassurer.
Nous avons également dû fortement réduire nos horaires d'ouverture (-40%) pour parer à cette amputation importante des effectifs, couplée à une activité intense. Nous avons pris cette décision "en conscience", nous savions que cela allait sans doute durer, que nous entamions un marathon, qu'il fallait épargner les équipes, mais aussi forcer les clients à changer leurs habitudes d'achat – comme par exemple acheter moins souvent, de plus gros paniers – ce qui a d'ailleurs eu lieu.
Enfin, nous avons enfin été confrontés à des difficultés d'approvisionnement. Autant nos petits fournisseurs de produits frais (fruits et légumes, fromage...) se sont retrouvés, pour certains, avec de nombreux débouchés en moins (les restaurants, cantines et marchés ayant fermés), autant nos grossistes ont connu le même pic de demande que nous (notamment au début, lorsque les gens ont stocké) et se sont vite retrouvés débordés, avec des difficultés à respecter le rythme de livraison habituel et de nombreuses ruptures de stock. Nos horaires réduits, incluant un jour de fermeture dans la semaine, nous ont contraints de toute manière à revoir notre planning hebdomadaire de livraison, mais nous avons subi de nombreux "couacs", compliqués à absorber vu le contexte… c’était finalement une charge de travail supplémentaire non planifiée.

Cela a-t-il généré des ruptures de stock en magasin ?

Globalement, les ruptures ont été assez limitées, même si nos fournisseurs ont dû nous rationner pour continuer à satisfaire tous les magasins qu'ils approvisionnaient. Nous aurions aimé avoir l'énergie d'aller chercher plus de fournisseurs locaux en direct qui travaillaient avec de nombreux restaurateurs, marchés ou cantines avant le COVID et qui se sont retrouvés avec des produits sur les bras. Mais, vu le manque d'effectifs et la forte activité, dans un contexte stressant car exposé, nous n'avons malheureusement pas eu les ressources nécessaires pour mener une vraie campagne de la sorte. Nous les avons ponctuellement soutenus quand l'opportunité s'est spontanément présentée à nous. Par exemple, nous avons pris des commandes auprès du collègue d’un producteur d’œufs et de volailles normand avec qui nous travaillons régulièrement.

Et comment avez-vous adapté votre processus de vente pour respecter les règles sanitaires plus exigeantes ?

Tout l'accueil de la clientèle dans notre magasin de libre-service a été modifié, nos procédures sont assez strictes par rapport à d'autres commerces mais nos clients saluent nos efforts et disent se sentir rassurés lorsqu'ils font leurs courses. Nous avons limité les entrées de façon à pouvoir respecter les distances de sécurité dans les allées (10 à 15 clients maximum en magasin). Nous désinfectons systématiquement les mains de chaque client avec une solution hydroalcoolique dès l'entrée, et nous désinfectons régulièrement les paniers, l’équipement de caisse, les poignées des armoires frigorifiques en libre-service… Le libre-service de vrac a quant à lui été remplacé par du service au comptoir, avec réorganisation des deux rayons de vente en vrac (alimentaire et non alimentaire). Le port du masque et des gants est obligatoire pour nos employés. Nous limitons également l'utilisation des espèces et tickets restaurant en caisse. Nous avons d’ailleurs protégé les caisses avec des parois en plexiglas et nous avons mis en place un balisage au sol pour respecter les distances de sécurité.
Nous avons aussi mis en place un dispositif de livraison pour les clients malades ne pouvant se déplacer, mais cela reste toutefois exceptionnel compte tenu de nos effectifs réduits. Nous avons enfin mis en place un accueil spécifique des soignants ou des personnes vulnérables en dehors des horaires d'ouverture au public. Tout cela a été mis en œuvre entre le 14 et le 20 mars, sans priorité aucune pour obtenir des équipements, sans même parfois savoir ou s'en procurer, mais, grâce à la solidarité d'autres commerçants du quartier et de certains clients, nous avons pu en obtenir.

Comment voyez-vous l’après-crise sanitaire ?

C'est bien sûr à ce jour très compliqué d'avoir de la visibilité. Avant de parler d'après crise, nous nous préparons surtout à la sortie du confinement qui ne verra pas le retour à une situation normale pendant plusieurs mois. Nous conserverons un mode de fonctionnement particulier, et une vigilance accrue sur l'hygiène et la prophylaxie. Nous nous préparons déjà pour que notre organisation puisse perdurer. Cela passera sans doute par un renforcement de nos effectifs.
Des difficultés économiques vont se faire sentir et nous sommes extrêmement attentifs à ce que la tension sur l'offre qui va perdurer – le bio étant un refuge en cette période chahutée – n'ait pas un impact trop fort sur nos prix. Nous constatons actuellement des augmentations sur certains articles, notamment les fruits et légumes, et essentiellement pour des questions logistiques liées au transport ou à des pénuries de main d’œuvre à tous les niveaux de la chaîne. Nous ferons tout notre possible auprès de nos différents fournisseurs pour garder des prix d'achat les plus optimisés possibles.

 

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