Crise sanitaire : LES ENTRETIENS | Le regard de Clara Duchalet, co-fondatrice de Vépluche

La série d'article  "LES ENTRETIENS" met en lumière la situation des acteurs du secteur alimentaire face à la crise sanitaire.

Depuis début 2019, Vépluche promeut l’économie circulaire en proposant aux professionnels de la restauration une solution de biodéchets contre légumes. La startup collecte gratuitement les déchets organiques des restaurateurs de Boulogne-Billancourt qui s’engagent à lui acheter en contrepartie un certain volume de fruits et légumes. Ces derniers sont cultivés par des maraîchers locaux en partie grâce au compost issu de la valorisation des biodéchets. Clara Duchalet, co-fondatrice de ce projet vertueux, nous a partagé sa vision de la situation et nous a expliqué comment, avec l’aide de son équipe, elle a réorganisé son modèle économique afin de contribuer à la mission sanitaire collective.

Cette interview fait partie des 8 témoignages que nous avons recueillis dans le cadre de notre article consacré à l’impact de la crise sanitaire sur les acteurs de la chaîne alimentaire en Île-de-France. Vous pouvez le retrouver >> ici <<.

Depuis l'annonce du confinement, quelles ont été les principales difficultés auxquelles vous avez été confrontés (vous et les restaurateurs avec lesquels vous travaillez) ? Comment avez-vous fait face à ces difficultés ? 

Lorsque nous avons su que les écoles allaient fermer, nous avons tout de suite fait différents scenarii catastrophes avec -25% ou -50% d’activité en nous demandant comment nous allions faire. Mais on ne s’attendait pas du tout à l’annonce, dès le samedi, de la fermeture des restaurants. Nous avons tous été surpris et nos clients les premiers. Ils étaient catastrophés à l’idée d’être privés de leur métier aussi soudainement… cela a été un véritable coup de massue, surtout pour cette frange de la population qui avait déjà été affectée par les grèves quelques semaines plus tôt, les gilets jaunes l’année précédente… les restaurateurs reprenaient tout juste leur activité de manière un peu plus stable et sereine et puis tout d’un seul coup cela leur tombe dessus ; ils n’ont vraiment pas eu de chance. Et en tant que startup aussi cela a été difficile, car nous avons démarré notre activité il y a à peine un an et demi. Trois jours avant la crise nous parlions de croissance et de perspectives et, du jour au lendemain, il n’y a plus rien. À l’annonce du confinement, nos clients ont notamment dû gérer rapidement leurs stocks, car certains venaient de faire leurs courses chez Metro ou avec nous. Nous leur avons proposé de faire une dernière collecte de biodéchets et ensuite nous avons tout arrêté. Sur nos 50 clients, un seul continuait ; or, nous ne pouvions pas maintenir la structure de Vépluche pour un seul restaurateur malheureusement. Nous avons fermé dans un premier temps, toujours en ayant l’idée de maintenir le lien avec nos clients.

Il s’est donc passé une semaine au cours de laquelle nous sommes restés bien évidemment en contact au sein de l’équipe Vépluche et nous avons réfléchi ensemble à ce que nous pouvions faire pour la restauration : comment préparer la reprise ? Comment aller prospecter au-delà de Boulogne-Billancourt ? Comment sous-traiter la logistique à Paris pour aller plus vite ? … À la fin de la semaine, nous nous sommes dit que nous pouvions forcément faire quelque chose. Nous avions accès à des producteurs, à des grossistes à Rungis, la distribution était débordée, les drives saturés en régions… puis j’ai vu qu’en Chine les gens se faisaient livrer leurs courses en bas de chez eux, et là ça a été le déclic. Nous avons compris que nous avions les moyens, à la petite échelle de Vépluche, de contribuer à la mission sanitaire en ouvrant nos circuits d’approvisionnement habituellement réservés aux professionnels. Nous nous sommes alors dépêchés, car l’urgence était là et il fallait que nous permettions au plus vite aux consommateurs de rester chez eux et respecter le confinement dans la mesure du possible. Aussi, nous avons mobilisé tous nos clients, pour leur donner l'opportunité d’être point relais, dans l’idée qu’ils aient une rémunération derrière. Nous leur versons une commission pour qu’ils aient une activité, un revenu et des contacts avec les consommateurs.

Existe-t-il des différences dans la mise en place ou le fonctionnement de cette nouvelle plateforme dédiée aux particuliers, comparé à la plateforme professionnelle (hormis le fait que le client final n’est plus le même) ?

Oui il y a beaucoup de différences. Tout d’abord, nos partenaires de fruits et légumes sont en sous-effectifs en ce moment donc ils ne peuvent pas nous vendre de petits volumes, mais uniquement des colis complets. Pour les carottes par exemple, cela se présente toujours par 12kg, mais vous vous imaginez bien qu’un particulier ne va pas acheter une cagette de carottes de 12kg. Nous avons ainsi complètement réorganisé notre chaîne logistique. Nous avons créé une unité de préparation externalisée qui nous fractionne les colis, c’est-à-dire que nous avons des préparateurs qui pèsent chaque jour les volumes commandés par les particuliers, de telle sorte que l’on puisse leur proposer d’acheter de plus petites quantités.

Au-delà des volumes de produits, il y a eu une deuxième réorganisation, tout aussi importante, concernant la logistique et plus précisément la zone géographique de livraison. Nous avons décidé de l’étendre au-delà de Boulogne-Billancourt puisqu’elle n’est plus assurée par Vépluche en tant que tel. Nous avons fait appel à un partenaire qui sous-traite toutes les livraisons pour pouvoir atteindre plus de monde. En fonction des volumes, ce prestataire utilise des triporteurs, des scooters ou des camionnettes, et nous essayerons de faire en sorte que toutes les livraisons soient en électrique après la crise.

Avez-vous trouvé ce partenaire facilement et rapidement ?

Oui, assez rapidement parce que nous sommes dans une situation vraiment inédite, où littéralement toutes les entreprises ont deux choix, soit on attend que ça passe soit on se démène pour trouver du business d’une manière ou d’une autre, et le partenaire avec lequel nous travaillons aujourd’hui est plutôt dans cette philosophie-là. Il n’était pas du tout orienté alimentation jusqu’à présent et il a fait un choix aussi en ouvrant sa profondeur de champ et en travaillant avec nous sur la livraison de fruits et légumes. Ce n’est pas pareil quand vous livrez une enveloppe et quand vous livrez 18kg de courgettes ou tomates, donc c’était une nouvelle contrainte pour ce prestataire. Finalement, nous avons trouvé ce nouveau partenaire assez facilement, mais voilà, tout construire en moins d’une semaine ça a été un véritable défi pour tous. 

Concernant l’approvisionnement, avez-vous fait appel à de nouveaux producteurs face à une possible hausse de la demande ?

Tout à fait. Lors du démarrage, nous avons fait appel à tous nos fournisseurs existants pour leur demander s’ils étaient toujours en mesure de livrer et d’être opérationnels. Pour certains cela n’était pas envisageable, comme leur activité avait été fortement réduite, mais nous avons pu nous appuyer sur d’autres fournisseurs comme les producteurs de la coop bio Île-de-France, avec qui nous travaillons depuis le début de l’aventure Vépluche. Comme leurs clients étaient surtout la restauration scolaire, ils ont eu des difficultés à écouler leurs produits comme leur clientèle était surtout la restauration scolaire ; nous les avons donc soutenus en leur passant des commandes toutes les semaines. Concernant nos partenaires grossistes à Rungis, ils essaient surtout d’acheter français, pas seulement pour l’effort collectif, mais aussi parce que les frontières ferment et les prix sont plus élevés. 

L'intensité de l'activité est-elle la même qu'avant?

L’activité a augmenté de manière exponentielle ! Comme les gens sont en ce moment à la recherche d’un service de livraison à domicile, la solution est en train de se faire connaître assez rapidement, donc nous avons beaucoup de demande, nous avons multiplié par 4 ou 5 l’activité. Ensuite il y a toujours un rebond au démarrage, mais nous prenons réellement un risque et un pari, du côté purement business, en nous ouvrant au marché du consommateur alors que nous sommes habitués à travailler avec le marché professionnel. L’avenir nous dira si nous avons fait un bon choix, mais pour l’instant, vu tous les mots que nous recevons des personnes qui sont ravies de pouvoir se faire livrer, cela fait très plaisir et rien que pour ça nous savons que nous avons déjà bien fait.

Donc, c'est un axe que vous pensez développer par la suite ? 

Écoutez, suite à l’annonce du déconfinement le 11 mai, nous pensions que les restaurants allaient pouvoir rouvrir dès le mois de juin et que nous pourrions reprendre notre activité classique avec eux, mais il faut avoir à l’esprit que les problèmes de trésorerie vont être considérables chez les restaurateurs, qui n’auront eu aucune source de revenus. Donc nous espérons très fortement que tout reviendra dans l’ordre, mais on se pose déjà des questions sur ce qu’il sera possible de faire avec les restaurants : est-ce qu’il y aura beaucoup de fermetures ? Est-ce qu’il y aura un regain de la population qui sortira davantage ? … Dans tous les cas, si l’activité fonctionne avec les particuliers aujourd’hui et qu’elle se pérennise demain, ce sera tout à fait envisagé qu’on poursuive dans ce sens-là.

Avez-vous rencontré des difficultés dans l’application des mesures sanitaires plus exigeantes ? 

Des difficultés, il n’y en a pas tellement, c’est juste une question de réorganisation et de réflexes à adopter. Les préparateurs font particulièrement attention, ils travaillent avec des gants et un masque. Et ensuite nous avons mis en place un système de livraison sans contact. Nous demandons aux personnes d’attendre en bas de leur immeuble, les livreurs téléphonent dix minutes avant, et l’objectif est de ne pas avoir à monter, toucher les digicodes, les poignées, les boutons d’ascenseur… Bref, de limiter au maximum les contacts avec des surfaces à risques. Nous faisons de petites exceptions pour les personnes âgées, qui parfois ne peuvent pas descendre, mais de manière générale nous communiquons très fortement sur le fait que nous devons protéger nos livreurs et clients donc nous limitons tout contact qui n’est pas nécessaire. 

Finalement et de manière plus générale, comment envisagez-vous la suite ?

Clairement nous réfléchissons beaucoup à la façon dont nous allons reprendre l’activité avec les restaurateurs. Aujourd'hui nous avons très peu de visibilité sur les semaines qui viennent en termes de trésorerie, de chiffre d’affaires, et aussi bien sûr de motivation à reprendre l’activité…car lorsque vous êtes à sec c'est un peu difficile de s’y remettre. Je pense aussi que nous allons devoir réellement repenser le contact à autrui. Nous parlons d’un virus qui va circuler pendant longtemps, qui pourra rester en activité pendant 6 mois, 12 mois, jusqu’à ce que nous trouvions un vaccin. Je ne suis pas experte sur le sujet, mais je crains la morosité ambiante qui va peut-être pénaliser davantage dans la durée les restaurateurs quand le confinement sera partiellement levé.

Après le côté positif, c’est quand même qu’il n’y a plus de pollution à mon balcon ! J’espère vraiment que les gens prendront conscience que c’est plus agréable de vivre avec moins de pollution, et qu’il y aura plus d’investissement dans les vélos, les triporteurs, les voitures électriques. Et, last but not least, c’est tout le côté local et durable au niveau des approvisionnements, nous en parlons beaucoup aujourd'hui, mais est-ce que cela va se traduire dans les faits demain ? Est-ce que les gens vont plus acheter français ? Est-ce qu’ils vont refuser les tomates et concombres hors saison ? Ça, je serais curieuse de le voir, mais je ne m’avancerai pas à faire des prophéties là-dessus.

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