Le Packaging de demain, ça vous emballe?

Après un premier billet consacré aux enjeux du gaspillage alimentaire, nous nous tournons ce mois-ci vers les initiatives dédiées à la réduction des emballages et de leur impact sur l'environnement.

Nous avons évoqué dans un précédent billet la lutte contre le gaspillage alimentaire. Il ne s’agit pas de la seule source de production de déchets dans l’industrie agroalimentaire : selon leur nature et les technologies à notre disposition, les emballages issus de ce secteur sont très inégalement valorisés. Nous nous penchons donc ce mois-ci sur les différentes innovations qui cherchent réduire leur impact environnemental. Au cours des derniers mois, elles ont été mobilisées en France dans le cadre des discussions sur le projet de loi Anti-Gaspillage pour une économie circulaire et plus récemment à l’échelle européenne, via le lancement au début du mois de mars du Pacte Plastique Européen.

Dans le secteur alimentaire, on peut distinguer deux types de positionnement par rapport à l’emballage, que nous explorerons successivement tout au long de ce billet :

  • Une première approche met en avant le rôle d’information et de protection des emballages, qui les rend indispensable au modèle de distribution contemporain. L’idée est alors de chercher à  substituer au plastique, dont la nocivité n’est plus à démontrer, d’autres matériaux plus respectueux de l’environnement. On parle alors d’écoconception ou de Smart Packaging, un sujet qui notamment été traité l’année dernière lors d’un atelier d’Open Innovation organisé par Smart Food Paris et la plateforme Ville Durable de Paris&Co
  • Une seconde approche valorise plutôt la transformation des modes de distribution pour réduire la production de déchets, ou en favoriser le réemploi. Le développement de la consigne ouvre des perspectives sur la « logistique inverse » (reverse logistic) dans la distribution. La croissance exponentielle du vrac, dans la grande distribution conventionnelle ainsi que dans des réseaux d’épiceries spécialisées, interroge quant à elle sur la manière dont la réduction des emballages à la source transforme les pratiques sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

Le Smart Packaging, de l’impératif de protection à la construction d’une nouvelle expérience de consommation

            L’emballage fait l’objet d’une définition légale : en 1994, le Parlement européen a publié une directive pour harmoniser sa gestion au sein des pays membres, reconnaissant comme emballage «tout produit constitué de matériaux de toute nature, destiné à contenir et à protéger des marchandises données, allant des matières premières aux produits finis, à permettre leur manutention et leur acheminement du producteur au consommateur ou à l’utilisateur, et à assurer leur présentation. Tous les articles à jeter utilisés aux mêmes fins doivent être considérés comme des emballages».

            L’emballage est donc avant tout défini par sa fonction de protection, de transport et d’information sur les produits. En dessous d’une certaine quantité d’emballage, les produits ne sont pas suffisamment protégés et risquent d’être gaspillés du fait de leur dégradation accélérée. Au-dessus d’une certaine quantité, on parle à l’inverse de suremballage et le rapport entre la protection fournie et la quantité de déchets générés sera déséquilibré. Une partie des recherches consacrées au packaging cherche donc à identifier des matériaux alternatifs au plastique, dont le mode de production repose moins sur l’utilisation d’énergie fossile et qui seraient aussi, voire plus efficaces que ce dernier — une plus faible quantité permet une protection égale ou supérieure des produits alimentaires.

Il peut s’agir de « nouveaux » matériaux : en décembre dernier, la startup italienne Qwarzo, qui fabrique des films protecteurs aux mêmes propriétés que le plastique tout en étant biodégradables et compostables, a par exemple remporté le prix de l’innovation technologique lors du salon Food Ingredients Europe. D’autres innovations se fondent également sur l’utilisation à des fins de packaging de matériaux préexistants. Partant du constat qu’une part importante du lait produit en France était écarté du circuit de consommation humaine, l’entreprise Lactips a mis au point un procédé de fabrication de granulés à base de protéines de lait thermoplastiques, solubles dans l’eau et biodégradables. Ce type d’emballage permet de réduire l’utilisation des énergies fossiles tout en valorisant les coproduits de l’industrie laitière.

Une autre manière de réduire la quantité de déchets produits par les emballages peut-être… de les manger. Jusque récemment, l’objectif des concepteurs de ce type d’emballage était de les rendre le plus neutre possible. En 2016, le magazine New Food, spécialisé dans l’actualité de l’industrie agroalimentaire, rappelait ainsi la définition des emballages comestibles adoptée par la communauté scientifique : «un emballage comestible est une fine couche de matériau comestible, qui n’excède généralement par les 3 mm, appliquée sur la surface d’aliments en supplément ou par substitution à leur enveloppe naturelle […]. Il doit aussi être acceptable pour le consommateur en maintenant le goût, la texture et l’apparence originales du produit et en n’étant pas détectable sur le palais». Ce type d’emballage a surtout été conçu pour le marché des fruits et légumes frais. Ces derniers périment vite et leur apparence est un critère majeur dans les décisions d’achat des consommateurs, alors même que les multiples manipulations auxquelles ils sont soumis peuvent contribuer à leur altération. Leur protection a donc rapidement constitué un enjeu pour les distributeurs. Dans une interview accordé au pôle de compétitivité agroalimentaire Vitagora, Frédéric Beaufort, ingénieur agroalimentaire à l’université de Bourgogne, revenait par exemple en 2012 sur la fabrication d’une couche de protection destinée aux pommes : «un emballage a été conçu pour éliminer facilement (avec un simple passage sous l’eau) les salissures et contaminations qui peuvent être déposées à la surface du fruit, notamment lorsque ces fruits sont manipulés par de multiples consommateurs (par exemple, dans un lieu de vente en libre-service). Bien que quasi invisible à l’œil nu, cet emballage a aussi apporté une belle couleur et une réelle brillance au fruit, tout en retardant l’effet "flétri"».

            Les emballages comestibles ont donc progressivement acquis d’autres propriétés que la simple protection des aliments, les rapprochant en ce sens des packagings plus conventionnels. Et plus précisément, depuis 2015, on assiste à l’émergence d’un nouveau marché lié aux contenants comestibles, dans lequel ces derniers, plutôt que d’être neutres, confèrent au contraire une valeur gustative supplémentaire aux produits qu’ils contiennent, voire une nouvelle fonction. Tassiopée, startup incubée chez Smart Food Paris, commercialise des tasses à croquer qui, en plus de transformer l’expérience de dégustation, s’appuient sur des innovations techniques qui garantissent le maintien en l’état des matières premières tout au long de cette dernière.

            Ces alternatives aux plastiques, aussi diversifiées soient-elles, s’inscrivent dans un contexte d’évolution de la réglementation associée aux emballages. En 2015, la loi relative à la Transition énergétique sur la Croissance Verte a instauré l’interdiction des gobelets, verres et assiettes en plastique à usage unique à partir du 1er janvier 2020. Elle a été complétée en 2018 pour d’autres éléments de vaisselles, comme les pailles, les couverts ou les pots à glaces, eux aussi interdits entre 2020 et 2021, le temps pour les distributeurs d’écouler leurs stocks. Cette réglementation, bouleverse les pratiques d’une large partie des acteurs de l’industrie agroalimentaire et contribue à faire émerger de nouvelles formes de distribution dans lesquelles les emballages occupent une place différente.

Quelle consigne faire adopter ?

            Les consignes sont un bon exemple d’un mode de distribution constitué autour de l’impératif de réduction drastique de la quantité de déchets liés à l’emballage des produits alimentaires. Concrètement, les systèmes de consigne pour réemploi permettent d’attribuer un coût à l’emballage des produits, qui est restitué au consommateur – sous forme d’argent ou de bon d’achat – s’il rapporte ledit emballage dans un point de collecte. Ce modèle a fait l’objet de nombreux débats lors de la discussion du projet de loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire à l’Assemblée Nationale.

En France, la collecte des emballages ménagers est financée selon le principe de la Responsabilité élargie des producteurs (REP). Il existe 16 filières REP en France et celle consacrée aux emballages ménagers a été la première à être mise en place, en 1992. Elle couvre cinq matériauxle papier-carton, le plastique, l’acier, l’aluminium et le verre, et fonctionne de la manière suivante : les entreprises productrices d’emballages paient une éco-contribution à un éco-organisme, Citéo, agréé par l’État pour prendre en charge la collecte et le traitement des emballages, selon un cahier des charges précis. Si le projet de loi vise à renforcer les filières REP, en en créant de nouvelles, la mise en avant des solutions de consigne a constitué pour certaines parties prenantes une remise en question du modèle économique et fonctionnel construit depuis la fin du XXème siècle. Pour Vincent Jourdain et Thomas Reverdy, respectivement doctorant et maître de conférence en sociologie qui ont consacré un article aux débats entourant la consigne, «les collectivités et les recycleurs sont prisonniers du phénomène de "dépendance au chemin emprunté" : les investissements passés orientent les décisions futures. Ils ont construit leur stratégie dans un cadre défini — le tri et le recyclage des matières — institutionnalisé grâce à la REP. Ils sont donc tentés de défendre une organisation de la filière en cohérence avec leur activité».

Une autre partie des débats porte sur le type de consigne valorisé. On distingue généralement la consigne pour réemploi de celle pour recyclage. Les modes de traitement des matériaux récupérés sont différents, et les structures mobilisées pour les mettre en œuvre aussi. Finalement, à la veille de l’ouverture des débats à l’assemblée, le gouvernement proposait l’instauration d’un système mixte, du point de vue des finalités aussi bien que du type de produits concernés, comme l’expliquait le 6 novembre 2019 un article consacré à ce sujet sur le site actu-environnement : «Cette idée, portée par les associations environnementales en pointe sur le sujet, vise essentiellement à adosser au réseau de collecte qui devrait être déployé pour le recyclage des bouteilles en plastique et des canettes, un réseau dédié au réemploi des bouteilles en verres». Comme on le voit, la mise en place de la consigne doit dépasser un certain nombre d’obstacles structurels et techniques, autour desquels il existe déjà de nombreuses initiatives. On peut citer par exemple le partenariat scellé entre l’entreprise de recyclage Terracycle et le groupe Carrefour pour le déploiement de la plateforme Loop, qui propose à ses clients d’acheter des produits de marques généralistes conditionnés dans des emballages consignés, réutilisables au fur et à mesure des commandes. C’est une startup, Petrel E-commerce Économie Circulaire, qui prend en charge l’intégration du dispositif de consigne pour réemploi au sein de Carrefour et auprès de différents transformateurs et industriels de l’agroalimentaire.

            Aujourd’hui, le débat ouvert par la mise en place de la consigne est loin d’être clos. Si la loi de lutte contre le gaspillage alimentaire et l’économie circulaire a été adoptée par l’Assemblée Nationale le mardi 21 janvier, la décision de mettre en place des dispositifs contraignants de consigne pour recyclage a été repoussée à 2023.

Le vrac entre structuration du marché et diversification des modèles

            Le vrac, en revanche, a été largement plébiscitée dans cette nouvelle loi. Elle impose par exemple aux commerces de plus de 400 m2 à proposer à leur clients des contenus réutilisables pour la vente en vrac. Ces dispositions s’inscrivent dans un contexte de forte croissance de ces modèles de distribution. En 2019, le Réseau Vrac, qui fédère les acteurs du secteur, dénombrait 215 épiceries spécialisées dans ce format en France — contre 18 en 2015 — et anticipait qu’en 2022 leur nombre grimperait à 500. On retrouve également des rayons vrac dans les grandes et moyennes surfaces classiques, souvent adossés au bio ou aux fruits et légumes qui, à l’exception de quelques produits, ont toujours été disposés dans les magasins selon ce modèle de libre-service non emballé. D’après une étude du groupe Nielsen, en 2018 37 % des consommateurs déclaraient acheter des produits en vrac en dehors des fruits et légumes, confirmant l’inscription progressive de ce modèle dans les pratiques de consommation. Ces rayons dédiés au vrac viennent s’ajouter aux comptoirs de vente à la découpe de fromage, boucherie, charcuterie ou poissonnerie très présents dans les hypermarchés et qui gagnent aussi progressivement les modèles de supermarchés en centre urbain.

La réduction des emballages induite par la distribution en vrac impacte l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. À l’échelle du consommateur final bien sûr, mais également dans les phases amont, au cours desquelles les fournisseurs doivent adapter leurs modes de conditionnement et les rendre compatibles avec une distribution sans conditionnement unitaire. Cette démarche crée une forme de rupture dans le rapport au packaging, notamment à travers sa dimension informative. Aujourd’hui, de nombreuses solutions existent dans le vrac pour transmettre aux consommateurs des données sur les produits qu’ils achètent, leur composition ou leur origine, à travers par exemple l’apposition de QR Code sur les silos de distribution. Pour autant, elles se heurtent à certains obstacles, notamment dans le cadre des Signes officiels de la qualité et de l’origine — AOP, AOC etc. — pour lesquels l’emballage et la certification géographique qu’il contient sont garants du point de vue légal de la traçabilité des produits. Aujourd’hui, la généralisation des modèles de distribution en vrac passent notamment par la mise à l’agenda public de ce type de paradoxe : le Réseau Vrac a par exemple porté une série d’amendements dans le cadre du projet de loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire.

La structuration de ce modèle de distribution passe donc par la fédération d’acteurs auparavant relativement éclatés et l’harmonisation des pratiques du point de vue notamment légal et sanitaire. Pour autant le développement des magasins permet d’entrevoir des dynamiques particulièrement intéressantes, du point de vue économique aussi bien que territorial. Dans la grande distribution, certaines enseignes disposent de rayons vrac en marques de distributeurs, tandis que d’autres font appel à des fournisseurs spécialisés qui proposent un service clé en main : sourcing et transformation des produits, transport et installation des bacs de vrac, gestion des stocks, nettoyage ou encore réassort… On compte de nombreuses entreprises proposant ce type de service, dont Juste Bio est l’un des leaders, avec plus de 100 références proposées. Dans le secteur des épiceries spécialisées, My Retail Box, fondée en 2013, est une entreprise particulièrement structurante sur le marché. Il s’agit de la maison mère de la franchise Day by Day, leader français des épiceries vrac avec 58 magasins en France. Mais My Retail Box déploie aussi des concepts adaptés aux plus petites villes — Poids et mesure — ainsi que des corners permettant d’implanter des rayons vrac dans les supérettes de villes de moins de 10 000 habitants — à la pesée. Pour tous ces modèles de distribution, elle joue le rôle de centrale d’achat et constitue le premier opérateur de vrac en Europe, dans un secteur qui reste encore très éclaté.

Pour autant, le secteur du vrac se caractérise aussi par le développement d’un tissu relativement diversifié de petites épiceries spécialisées, dont les axes de développement sont variés, en particulier dans les centres des grandes villes. La Mairie de Paris et le GIE Paris Commerce ont par exemple lancé en 2018 un appel à candidatures visant à favoriser l’ouverture de magasins en vrac. Parmi les cinq lauréats, plusieurs concepts cohabitent : Negozio Leggero est par exemple une franchise italienne particulièrement exigeante sur le sourcing de ses produits, qui est réalisé avec un institut de recherche en environnement ; l’épicerie Kilogramme propose quant à elle des produits secs et frais, mais également des ateliers autour du zéro déchet. Les lauréats de cet appel à candidatures ont pu s’installer dans des locaux de différents bailleurs sociaux parisiens et bénéficier d’une subvention de la Ville de Paris, issue du budget participatif. Cette diversité de mode d’entrée dans le secteur de la distribution en vrac valorise donc une grande diversité de modèles et de porteurs de projets, qui partagent néanmoins une volonté de réduire à la source la production de déchets alimentaires liés à la chaîne alimentaire.

Conclusion

De la création de nouveaux matériaux d’emballage au développement de nouvelles formes de distribution alimentaire, il existe de nombreuses initiatives qui cherchent à proposer des modèles alternatifs à l’usage des matières premières issues d’énergies fossiles pour limiter l’impact environnemental du système alimentaire. Depuis quelques années, la législation trace des axes prioritaires de développement dans cette perspective, qui remettent parfois en question la structuration des filières telles qu’elles s’étaient constituées au cours des dernières décennies. Bien que ce ne soit pas le cas de tous les acteurs du secteur alimentaire, la mise en avant des enjeux liés à la réduction des déchets dans le secteur alimentaire a poussé une partie de ses représentants à s’interroger sur la notion de circularité qui pouvait y être associée. Et sur ce point, nous ne pouvons que vous conseiller d’aller explorer la démarche des startups de la plateforme Ville Durable  !