#SFPromo5 – Christophe Lavelle : « avoir une idée originale c’est facile, ce qui va souvent être le plus difficile c’est de la faire accepter »

Découvrez ci-dessous la retranscription de l’intervention de Christophe Lavelle lors du lancement de la 5e promotion d’entreprises innovantes incubées chez Smart Food Paris. Et pour retrouver l’intégralité de l’événement, c’est par ici.

 

«En tant que chercheur, l’innovation fait partie de mon quotidien. Je travaille au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle et tous les chercheurs ont une fonction commune, produire de la connaissance, or cette connaissance n’a de valeur que si elle est nouvelle. À côté de ça je suis aussi formateur pour l’Éducation Nationale et spécifiquement pour tous les professeurs de cuisine. Je leur enseigne d’une part la maitrise du métier, donc la physico-chimie de la cuisine, mais aussi toutes les conséquences écologiques et nutritionnelles de ce travail en cuisine et du fait de s’alimenter.  

Et une fois de plus, en cuisine, on innove d’une certaine manière. On crée une recette. Cela reste un vaste débat : est-ce que créer une recette est une innovation ? Il est clair que cette envie de créer du neuf est permanente. Je dirais qu’il y a deux grandes catégories : les innovations de service ou de produit. Pour ce qui est du service, les mêmes thématiques reviennent souvent : les circuits courts, les produits préparés, les chantiers de réinsertion. Pour ce qui est des produits, nous retrouvons les substituts de matières animales, les probiotiques… plein de choses dans l’air du temps.

Je suis souvent sollicité sur ces aspects produits du fait de ma formation de physico-chimiste. Un point important à ne pas oublier :  il y a quelque chose de très particulier dans l’alimentation, c’est le volet culturel. C’est sans doute vrai pour toutes les thématiques d’innovation, mais ça l’est encore plus pour l’alimentation. Autrement dit, quand on innove, il faut bien sûr lever des verrous techniques et technologiques, mais il ne faut pas oublier que tout cela s’inscrit dans un contexte culturel extrêmement fort. Paradoxalement, une bonne innovation dans l’alimentaire est rarement la plus innovante. Les innovations de rupture, qui font violence aux consommateurs, restent souvent à l’état de gadget car il y a quelque chose qui ne passe pas. On a beau inventer le plus beau des produits, s’il est trop nouveau, le travail technique va finalement être beaucoup moins important que tout le travail culturel, qui va consister à faire accepter ce produit. C’est quelque chose d’assez particulier dans l’alimentation : il est facile d’avoir une idée originale, et ce qui va souvent être le plus difficile, c’est de la faire accepter.

De ce point de vue, tout ce travail d’innovation, tout l’effort, doit être accentué sur ce qui a du sens, procure des sensations et crée de la sensibilité. On voit de plus en plus d’enjeux éthiques, de développement durable… Tout cela est un melting-pot qui peut faire passer l’aspect technique presque au second plan, même s’il reste souvent de vrais verrous à lever. Ce qu’il faut intégrer, encore une fois, c’est cette idée de « bon à manger, bon à penser ». Tout ce côté goût et plaisir de l’alimentation doit rester la priorité aujourd’hui, même si on parle tous de développement durable et d’éthique. Parce qu’on voit bien que malgré cette motivation qu’ont les consommateurs, personne ou quasiment personne ne mange pour sauver la planète, ou pour le bien-être animal. On mange d’abord pour soi, pour se faire plaisir. Et si au passage on peut aider et participer à une meilleure planète, à une meilleure éthique, il faut le faire. Un biscuit fait de soja, spiruline ou protéines d’insectes risque d’aller à la poubelle s’il n’est pas au moins aussi bon que des produits moins éthiques proposés à côté.

C’est le message principal que je voulais faire passer dans ces 5 minutes : dans l’alimentation, la priorité est sur le culturel, qui doit donner du sens à ce que l’on ingurgite. Bien entendu il y a tous les verrous techniques à lever comme dans n’importe quel type d’innovation. Mais il ne faut jamais perdre de vue que l’alimentation est un domaine très particulier de ce point de vue-là. »