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Consommation responsable : tous concernés, tous responsables ?

#Décryptage #Veille

Le 14 mai dernier, nous avons organisé une conférence sur le thème « comment aider les consommateurs à choisir des produits responsables ? ». L’occasion de s’interroger sur la répartition  de cette responsabilité dans la supply chain.

Une – toute – petite histoire de la consommation responsable

L’idée de produits responsables est généralement associée à celle de consommation et de consommateurs responsables. Durant les dernières années, cette responsabilité a notamment été associée à la nécessité de prendre en compte l’impact social, économique et environnemental dans les pratiques d’achat. Cette mobilisation n’est pas nouvelle : dès la fin du XIXème siècle, les ligues d’acheteurs insistaient sur le devoir des consommateurs de veiller aux bonnes conditions de travail des ouvriers chargés de la fabrication des produits qu’ils achetaient. Par la suite, une partie des associations de consommateurs se sont concentrées sur la défense de leurs droits, à travers une meilleure information sur les produits et une plus grande transparence dans l’organisation des circuits de production. Cela correspondait à un contexte de défiance croissante envers ses acteurs, du fait entre autres de différents scandales sanitaires dans les années 1980 et 1990.

La consommation responsable telle qu’elle se développe ces dernières années autour du développement durable – pour prendre un cadre très large – se situe d’une certaine manière à la jonction de ces deux positions. A travers l’idée de responsabilité elle donne un devoir aux consommateurs, celui de se porter garant de l’impact qu’ont leurs achats sur l’écosystème. Pour autant, ce devoir est étroitement associé à celui des acteurs de la chaîne d’approvisionnement de délivrer aux consommateurs les informations nécessaires à la réalisation d’un choix éclairé, tout en transformant leurs pratiques et/ou l’organisation de leurs filières. Depuis les années 1990, de nombreuses initiatives associatives ont émergé pour proposer des circuits alternatifs et se sont structurées en fonction d’une volonté de transition sociale, économique et environnementale dans le fonctionnement du système alimentaire. De leur côté, les acteurs des chaînes d’approvisionnement traditionnelles, qui se sont structurés durant la seconde moitié du XXème siècle autour du développement de la consommation de masse, sont de plus en plus sommés de transformer leurs pratiques et d’intégrer de nouveaux paramètres qui redéfinissent le caractère optimal des circuits dans lesquels ils s’insèrent. Autant de défis auxquels répondent des démarches innovantes, qui peuvent adopter des prismes très différents les uns des autres.

A qui et comment donner la responsabilité ?

Les participants à la table ronde du 14 mai ont abordé plusieurs axes par lesquels il est possible d’appréhender le développement de produits responsables, en s’appuyant plus ou moins sur les propriétés des circuits d’approvisionnement existants. Poulehouse, par exemple, transforme les pratiques d’élevage dans la production d’œufs et introduit une rupture radicale au sein du métier, en proposant un modèle dans lequel les animaux ne sont pas abattus en fonction de leur sexe ou de leur âge. La vente des boîtes d’œufs au sein de magasins spécialisés et d’enseignes de grande distribution est un moment privilégié pour sensibiliser les consommateurs aux conditions actuelles d’élevage et aux coûts induits par leurs transformations : en payant leurs œufs plus chers, les consommateurs participent à une meilleure rémunération des producteurs et à l’entretien des infrastructures permettant de continuer à élever les poules jusqu’à leur mort naturelle. Ici, c'est la production qui est responsable et elle s’appuie sur les circuits de grande distribution traditionnels qui sont un levier pour valoriser cette démarche auprès du plus grand nombre.

La marque C’est qui le Patron intervient différemment. C’est notamment l’intervention des consommateurs dans l’élaboration des produits qui leur donne une responsabilité, puisqu’ils exercent un pouvoir important sur la structuration de la chaîne de production et de transformation et s’en portent garant auprès de l’ensemble des acheteurs de la marque. La démarche entraîne des transformations dans les pratiques au sein des métiers, directement liées aux choix réalisés par les consommateurs, en termes de choix des matières premières, de coût de rémunération des acteurs de la chaîne et en particulier des producteurs, ou encore d’emballage des produits finis. Mais elle s’accompagne aussi d’innovations sociales, dans le sens où elle contribue à créer des réseaux et des formes de coopérations nouveaux qui modifient le rôle des acteurs impliqués dans la chaîne d’approvisionnement. Ce qui est intéressant dans ce cadre, c’est que l’ambition de développer une consommation responsable implique également de prendre en compte, à travers la fixation du prix de vente, les contraintes formulées par les acteurs de chacune des étapes de l’élaboration du produit. Cette forme d’organisation inédite permet donc de mettre au jour les défis propres à chaque filière et chaque marché dans la mise en œuvre d’une transition écologique, sociale ou économique.

Ferme France, qui était la troisième initiative présente lors de la table ronde, se distingue des deux autres démarches par son statut associatif, qui l’émancipe des contraintes liées à l’insertion dans le marché économique. Ferme France développe un outil de notation de la performance sociétale des produits, en fonction de l’évaluation sur chacune des étapes de la chaîne d’approvisionnement de critères de durabilité économique, sociale et environnementale. Les fondateurs de l’association sont des acteurs majeurs de la production, de la transformation, de la distribution et de la commercialisation de produits alimentaires en France. De ce point de vue, la notation représente à la fois une forme d’évaluation des pratiques existantes et un outil permettant de disposer d’une feuille de route permettant de répondre aux injonctions croissantes émanant de la société civile et des acteurs publics.

Ces trois exemples donnent des pistes sur la manière dont des innovations techniques ou sociales peuvent aider les consommateurs à choisir des produits responsables. Elles s’appuient sur des visions différentes du rôle de chacun des acteurs dans la mise en œuvre d’une transition vers un modèle d’approvisionnement et de consommation plus durable mais mettent toutes en avant un enjeu de mise à disposition des informations nouvelles sur le fonctionnement du système alimentaire. Derrière ces réflexions et ces actions, il y a peut-être aussi une question plus large, qui concerne le rôle que l’on souhaite accorder au sein de la société non seulement aux consommateurs, mais à l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement qui, historiquement, n’avaient pas forcément la charge de la définition de la responsabilité qu’ils ont sur leur environnement.

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