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Une doctorante à Paris&Co, un an après premier bilan

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Un an après le démarrage de sa thèse au sein de Paris&Co, Natacha Rollinde nous en dit plus sur son avancement et les étapes à venir!

Comme vous l’avez peut-être déjà lu sur le site de Smart Food Paris, j’ai démarré il y a un an une thèse consacrée à l’approvisionnement des commerçants du secteur alimentaire dans la métropole parisienne. A l’approche de son premier anniversaire, il est temps de faire un premier bilan du chemin parcouru et de vous en présenter les prochaines étapes. 

Une première année consacrée à la contextualisation du sujet de thèse 

La problématique à laquelle je cherche à répondre dans ma thèse est la suivante : comment les commerçants indépendants du secteur alimentaire et localisés dans la métropole parisienne construisent-ils leurs stratégies d’approvisionnement ? Et, en lien avec ces stratégies, de quelle manière s’intègrent-ils – ou peuvent-ils s’intégrer – aux cadres de gouvernance qui émergent depuis quelques années autour de la régulation du fonctionnement du système alimentaire ? Cette problématique renvoie à un contexte particulier, puisque depuis la fin du XXe siècle, les modes de production, de transformation, d’acheminement et de commercialisation des denrées alimentaires ont été largement remis en cause pour des raisons sanitaires, écologique ou encore de justice sociale. Dans ce contexte, la configuration du jeu d’acteurs mobilisés autour de l’alimentation connait des mutations, de même que leurs pratiques et leurs stratégies. Les commerçants indépendants peuvent anticiper, s’adapter ou encore résister à ces processus et sont intéressants à étudier dans la région parisienne, notamment parce que le tissu commercial y est particulièrement dense et diversifié.

Ces différents éléments ont constitué le point de départ de mes recherches. Ils ont constitué un point de départ et durant les premiers mois de la thèse, j’ai tenté de cerner ma question de recherche du point de vue théorique, en réalisant un premier état des travaux consacrés aux sujets que j’allais traiter. Derrière la problématique qui m’intéressait, il y a en effet plusieurs notions dont les « histoires scientifiques » ne se croisent pas forcément. L’analyse des systèmes alimentaires a par exemple peu croisé la route des travaux cherchant à comprendre le rapport des commerçants indépendants au territoire. En étudiant le mode de gouvernance des premiers et les stratégies d’approvisionnement des seconds, on peut essayer de créer un pont entre ces deux champs. Concrètement, ce premier travail a donné lieu à la rédaction d’un document de synthèse, qui sera complété et adapté au fur et à mesure de la thèse pour former l’état de l’art (ou état de la littérature scientifique). Il permet de se positionner dans le champ scientifique. 

En parallèle, puis suite à cette contextualisation théorique, j’ai également réalisé des entretiens auprès de représentants d’institutions, d’administrations ou d’organisations professionnelles impliquées dans la gouvernance alimentaire et/ou le commerce à Paris, dans la Métropole du Grand Paris et en Île-de-France. Le choix des interlocuteurs a été guidé par trois objectifs. Le premier était de mieux appréhender le fonctionnement du système alimentaire parisien et francilien, qui a notamment été étudié par des organismes comme l’Atelier parisien d’urbanisme ou l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France. Le deuxième objectif était de comprendre quels sont les outils et les cadres de gouvernance existant aujourd'hui sur ce périmètre, ainsi que leurs perspectives d’évolution, ce qui explique pourquoi une grande partie de mes entretiens ont été réalisés auprès des institutions publiques qui en sont les instigatrices et les animatrices. Enfin, il s’agissait de comprendre quelle place occupent les commerçants et leurs fournisseurs privilégiés – grossistes ou producteurs par exemple – dans ce processus complexe. Cela m’a amenée à solliciter des organisations professionnelles, chargées entre autres de la représentation, de la valorisation et de la défense de la profession auprès des acteurs publics, ainsi que des organismes qui font le pont entre les acteurs économiques et les institutions publiques, à l’instar des Chambres de commerce et d’industrie. Une fois ces entretiens retranscrits et analysés, ils ont fait l’objet d’une synthèse problématisée, présentée en interne à la direction de Paris&Co et à mes directeurs de thèse.

Entrée dans la phase d’enquête de terrain

Ces deux étapes ont permis de préfigurer l’enquête de terrain qui devrait occuper l’année à venir. Elles ont été l’occasion de préciser des axes de réflexion sur la place des commerçants dans les différentes formes de gouvernance alimentaire, mais aussi de mieux délimiter les limites du terrain. Lorsque l’on veut étudier des stratégies d’approvisionnement, le caractère indépendant de l’activité est déjà très important, puisqu’il détermine un degré d’autonomie important dans les choix de fournisseurs. Mais il n’est pas forcément suffisant pour définir un groupe professionnel dont les pratiques seraient comparables : le type de produits vendu joue pour beaucoup dans les circuits d’approvisionnement et les jeux d’acteurs qui les caractérisent. Pour cette raison, il a semblé nécessaire de restreindre le terrain de recherche à une catégorie de commerce spécialisé, pour pouvoir développer une analyse et des comparaisons pertinentes entre les stratégies d’approvisionnement.

La catégorie des primeurs – spécialisés dans la vente de fruits et légumes – m’a paru être pertinente à étudier au vu de ma problématique. En premier lieu, il s’agit de produits pour lesquels les degrés de transformation sont généralement moindres que dans d’autres catégories : en boulangerie par exemple, où la filière farine-blé-pain se caractérise par plusieurs étapes de transformation des produits bruts, qui font intervenir des stratégies et des acteurs très différents. Les degrés de transformation plus faibles – bien que croissants ! – dans la filière fruits et légumes permettent de faire l’hypothèse que les circuits d’approvisionnement des commerçants sont plus évidents à reconstituer. Par ailleurs, il s’agit d’un commerce spécialisé dans lequel les professionnels sont très largement indépendants et non associés à des réseaux, ce qui peut laisser supposer qu’il existe une diversité importante de stratégie d’approvisionnement. Leurs effectifs dans la capitale ont d’ailleurs connu des évolutions intéressantes depuis les premiers recensements commerciaux réalisés par l’Atelier Parisien d’Urbanisme. Au début des années 2000, le nombre de primeurs a fortement chuté puis s’est stabilisé jusqu’en 2014, période à partir de laquelle il a connu une forte augmentation pour atteindre 350 points de vente en 2017. Cela laisse présager des modes d’entrée et des approches du métier différentes, dont on peut faire l’hypothèse qu’elles se répercutent sur les stratégies d’approvisionnement. D’un autre côté, une partie des politiques de valorisation des circuits courts et/ou de proximité porte en particulier sur les produits issus du maraîchage, ce qui permet d’interroger de quelle manière les primeurs participent à leur mise en valeur. Mon enquête de terrain portera donc sur les primeurs à Paris et sur le périmètre d’un autre Établissement public territorial de la métropole du Grand Paris, Grand Paris Sud-Est Avenir. Ce dernier se caractérise par des formes urbaines très différentes, qui vont de la banlieue dense de première couronne parisienne à des communes périurbaines dominées pour certaines par des exploitations agricoles. En particulier, il s’agit d’un des rares établissements publics territoriaux de la métropole à avoir une activité maraîchère productive, encore bien implantée aujourd’hui. La comparaison des activités commerciales avec Paris pourra donc donner des résultats intéressants.

Concrètement, cette phase de terrain devrait se faire en deux temps. Premièrement, il s’agira d’aller à la rencontre des primeurs recensés sur le périmètre d’étude, pour échanger avec eux sur leurs pratiques d’approvisionnement et leurs évolutions au cours du temps, par le biais d’un questionnaire. L’un des objectifs de cette étape est de pouvoir réaliser à terme une analyse quantitative des informations recueillies pour identifier des tendances sur les modes d’approvisionnement au sein de mes terrains de recherche. Dans un second temps, je souhaite réaliser des entretiens plus approfondis auprès de certains primeurs en revenant sur leur parcours, leur vision du métier et la manière dont ces éléments influent sur leur stratégie d’approvisionnement. Cette démarche permettra d’identifier des logiques d’actions plus générales de la part de ces professionnels, en les rattachant aux différentes étapes qu’ont connues leurs carrières, ainsi qu’aux transformations des contextes sociaux, économiques ou territoriaux dans lesquels ils l’ont exercé et l’exercent encore aujourd'hui.

            Cette étape de la thèse est largement inductive. Elle nécessite un important travail de préparation, à travers la construction de questionnaires et de grilles d’entretiens par exemple. Pour autant son déroulement est tributaire des informations et des réactions rencontrées lors du terrain, et c’est ce qui fait à la fois tout son intérêt et sa difficulté. La confrontation au terrain représente une manière de mesurer l’écart entre les hypothèses qui permettent de préparer cette phase de recherche, et les pratiques et représentations des personnes qui, du fait de leur métier, sont cœur de ma problématique de thèse. Cette démarche demande donc de pouvoir s’adapter à des situations imprévues. Cela peut entraîner des contraintes techniques, mais en dit toujours beaucoup sur le fonctionnement de l’approvisionnement et plus largement du système alimentaire. Ce sont donc à la fois les réponses aux questionnaires et aux entretiens, mais aussi le terrain en lui-même qui constitueront l’un des principaux matériaux pour répondre à ma problématique et entamer la rédaction durant ma troisième et dernière année de thèse… si tout se passe comme prévu !

 

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